L’Intelligence artificielle n’arrête pas son expansion : création d’images, rédaction de textes, génération de musiques. Simple réutilisation de l’existant ou véritable création artistique ? La question divise les métiers créatifs et vient à nous questionner sur l’avenir des designers.
Qu'est-ce qu'une IA ?
Selon le parlement européen : “L’IA désigne la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité”. Nouvelle génération d’intelligence artificielle, l’IA générative se nourrit de contenus existants afin d’en créer de nouveaux de la même manière qu’un être humain pourrait le faire.
Quels sont les types d’IA qui nous entourent ?
Les IA font déjà partie intégrante du quotidien des designers, mais jusqu’où iront-elles ? Adobe Sensei, présent dans la suite Adobe, permet la reconnaissance faciale pour des retouches photo simplifiées, la sélection de typographies adaptées à votre projet ou encore la génération automatique de sous-titres. Cependant, de nouveaux outils proposant de ne plus uniquement nous assister, mais de complètement remplacer certaines de nos tâches ont récemment vu le jour.
En effet, 2022 a été une année pionnière en matière d’IA générative, difficile de ne pas avoir entendu parler de Midjourney, Dall-E ou encore de ChatGPT. En effet, le domaine qui a le plus évolué dernièrement concerne la création d’image et la génération de textes.
Les promesses des IA
Une révolution de l’image
Les champs d'intervention des IA dans le secteur de l’image s'étendent chaque jour davantage. Il est possible de créer son logo, son identité visuelle, ses photographies et vidéos, mais également de générer l’interface de son site web. La promesse est de générer le design dont a besoin l’utilisateur rapidement et avec peu d’efforts.
Actuellement leader sur le marché de l’IA générative, Open AI est suivi de près par des concurrents tels que Microsoft, Google ou encore Meta. De plus en plus de logiciels spécialisés en design intègrent peu à peu des outils d’intelligence artificielle. Ainsi, Microsoft a annoncé la sortie de Microsoft Designer fin 2022, un outil fondé sur l’usage de l’Intelligence Artificielle.
Création de logo et d’identité visuelle
Existant depuis plusieurs années, les générateurs de logos et d’identités visuelles restent assez limités, s'arrêtant généralement au nom de l’entreprise, à son secteur et son slogan. Les IA permettent de faire des choix de couleurs, de combinaisons de typographie ou encore de décliner son identité visuelle sur différents supports, mais peuvent-elles réellement remplacer un designer ?
Retouche d'images
La retouche d’images par intelligence artificielle permet d'améliorer les images grâce à l'analyse de millions d'autres, afin d’obtenir le rendu que l’outil considère comme le plus esthétique. Par exemple, remove.bg permet de supprimer l'arrière-plan d’une photo. D’autres outils comme snapedit.app permettent de retoucher rapidement une photo en y supprimant des objets ou personnes. Les logiciels de la suite créative Adobe quant à eux, utilisent l’IA Adobe Sensei. Cette technologie permet notamment le célèbre remplissage d’après le contenu sur Photoshop, la sélection automatique de sujets ou encore l’ajustement automatique des couleurs dans Premiere Pro.
Création d’images, vidéos et pictogrammes
Depuis peu ouverts aux publics, les sites comme Midjourney, Dall-E et Stable Diffusion permettent de créer des images à partir d’une requête texte décrivant le contenu de l’image attendue. Plus la description sera pointue et plus l’image sera qualitative et complète. En effet, il est possible de créer une image à la manière d’un artiste, de choisir l’angle de vue ou encore l’émotion des sujets sur la photographie.
Après avoir révolutionné la génération d'images par intelligence artificielle en 2021, Dall-E 2 comptait déjà 1,5 million d’utilisateurs inscrits avant sa sortie au public en septembre 2022.
La création de vidéos est également de plus en plus simplifiée grâce à l’IA, qu’il s’agisse d’aide au montage ou encore de création d’une vidéo à partir de zéro. Certains outils proposent par exemple de créer des vidéos à partir d’une trame écrite pouvant être organisée comme un script qui décrirait chaque scène.
Création d’interfaces
Il est possible de demander à des générateurs d’images tels que Midjourney de créer une interface utilisateur, mais elles ne sont pas modifiables par la suite pour le moment.
De nombreux plugins utilisant de l’IA ont récemment vu le jour dans Figma, ceux-ci permettent d’intégrer des outils de génération de textes, d’images et bientôt d’interfaces complètes. Par exemple, le plugin Prompt 2 Figma, encore en version bêta, permet de générer une interface à partir d’un prompt directement dans Figma. Cependant, ces outils restent généralement limités en version gratuite, mais proposent des abonnements pour accéder à une utilisation sans restrictions.
Rédaction de textes
Les outils de génération de texte tel que ChatGPT peuvent se révéler comme de réels assistants pour les designers. En effet, ChatGPT peut produire beaucoup de texte sur n’importe quel sujet, il peut donc être pertinent de l’interroger pour faire émerger des idées auxquelles nous n’aurions pas pensé et les amener plus loin. Il peut aider celui-ci à faire un brainstorming créatif en peu de temps, à faire un persona et bien plus encore.
En cas de page blanche, le générateur de texte peut nous proposer des idées afin de nous débloquer : on demande à ChatGPT de nous trouver des idées d’illustrations pour le header d’un site d’une marque de café
Il est également possible de créer un persona complet à l’aide de ChatGPT, ici on va créer un persona fictif d’un utilisateur d’une boutique e-commerce de café
Une législation floue sur l'IA
Beaucoup de questions émergent au sujet des droits d’auteur de ces créations, est-ce l’outil ou la personne qui a initié la création qui en est l’auteur ? De plus, l'utilisation d'images sans le consentement de ses auteurs pose question sur la limite légale de ces utilisations.
De nombreux artistes sont inquiets au sujet de l’utilisation d'œuvres dans les bases de données des IA. En effet, de nombreuses images ont été récupérées d’internet pour l’apprentissage de l’IA et utilisées sans le consentement des créateurs de celles-ci. Le manque de cadre légal sur l’exploitation des bases de données est un sujet au cœur de nombreux débats.
Les IA génératives fonctionnent sur le principe du machine learning, technologie fondée sur l’expérience acquise via l’ingestion de contenus à partir de bases de données. Ces contenus peuvent être des œuvres protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins. Or le droit d’auteur protège une création précise, mais pas une manière de créer. Pour générer une image, une IA entreprend une fouille dans tout le contenu qu’elle a ingéré, elle déconstruit le contenu puis le reconstruit pour proposer une œuvre. En théorie, cette nouvelle œuvre ne reproduit pas les éléments des œuvres parcourus, mais en est simplement inspirée.
Ensuite, en ce qui concerne les œuvres sortantes, il y a lieu de se demander si ces œuvres sont considérées comme une œuvre de l’esprit, et à ce titre protégées par le droit d’auteur. Il faut rappeler que l’objet de la protection par le droit d’auteur est l’œuvre de l’esprit : une création originale, qui porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur, en d’autres termes l’on doit pouvoir y reconnaître son style et son empreinte d’artiste. La notion de personnalité de l’auteur renvoie à l'existence d’une personne physique. L’enjeu est là, peut-on considérer comme auteur une personne qui a fourni quelques idées et appuyé sur un bouton ?
Pour cela, il faut distinguer les créations générées par une IA et les créations assistées par une IA. Ainsi, le droit de l'œuvre créée dépend de l’implication de l’humain dans le processus. Lorsque l’IA n’est qu’un outil utilisé par un créateur, c’est ce dernier qui bénéficie en théorie du droit d’auteur. L’IA pourrait alors être considérée comme un instrument, perfectionné certes, mais en termes de droit, il ne serait pas différent d’un crayon ou d’une tablette graphique. Cependant, en l’état actuel du droit français, les œuvres générées avec l’aide d’IA ne sont pas clairement protégées par le droit d’auteur, la jurisprudence est encore floue à ce sujet
En effet, se développant à toute vitesse, l’IA ne devrait tarder à être encadrée par des lois sur la protection des données et la propriété intellectuelle. Depuis le 20 octobre 2020, la Commission européenne réfléchit au sujet des droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle
En attendant les nouvelles dispositions légales européennes, la CNIL a créé le 23 janvier 2023 un service dédié à l’IA et va lancer des travaux sur les données d'apprentissage. Elle proposera ainsi des premières recommandations sur le sujet des bases de données d’apprentissage dans les prochaines semaines. Pas encore imposée par la loi, une transparence sur l’origine des œuvres produites par intelligence artificielle pourrait être bientôt obligatoire. Ainsi, en Chine, les contenus générés par intelligence artificielle doivent faire apparaître une mention le précisant.
La créativité de l'humain
Créativité du designer
La créativité du designer est liée à son expérience personnelle, à sa culture et à ses émotions. Il peut trouver l’inspiration dans sa vie, ses relations et son environnement. La créativité est souvent influencée par la conscience de soi et la capacité d'auto-réflexion. Contrairement aux IA, les designers peuvent explorer leur propre psyché et leurs motivations profondes pour trouver des sources d'inspiration créative. En effet, la créativité est aussi souvent associée à la capacité de rêver et de faire de l'abstraction. Les designers peuvent imaginer des mondes alternatifs, des situations futures et des idées surréalistes, ce qui les aide à concevoir des solutions créatives aux problèmes. Les IA, en revanche, sont limitées à une logique purement mathématique.
Enfin, le bagage créatif de chaque designer en fait son identité et va avoir un impact sur ses créations. Il a pu à travers son expérience et ses diverses expérimentations développer son style et sa signature originale. De plus, sa culture graphique acquise au fur et à mesure de ses recherches et de ses formations, lui apporte un socle de connaissances.
Analyse et compréhension du contexte
Lors du début d’un projet, il est nécessaire de commencer par l’analyse du besoin et des enjeux. Cela implique une compréhension complète du brief, des attentes du client ainsi que des différentes contraintes techniques. Il est également important de prendre en compte le contexte du projet, notamment le secteur d’activité de l’entreprise et le pays où celui-ci aura lieu. Enfin, une analyse de l’existant ainsi qu’un benchmark concurrentiel permettra de compléter le périmètre du projet.
Méthode de création
Pour commencer la phase de création, l’étape de brainstorming est essentielle afin de faire émerger les premières idées, seul ou en équipe cette étape permet d’explorer rapidement un grand nombre de possibilités. Ces premières pistes seront triées pour être par la suite approfondies.
Suite à cela, la réalisation d’un moodboard permet de centraliser les inspirations trouvées : typographies, images, textures, couleurs. Il permet notamment de valider une première ligne directrice du projet avec le client.
Vient ensuite la réalisation de croquis, permettant de trouver rapidement plusieurs pistes graphiques. Une fois le tri fait, ces pistes serviront de point de départ pour la création. Il est important de préciser que le processus créatif n’est pas linéaire, il rebondit entre les différentes idées du designer et à travers les itérations. Chaque itération nourrit le processus créatif et permet l’émergence de nouvelles idées afin d’améliorer le projet.
Une fois la première proposition faite au client, un nouvel échange avec celui-ci permet de faire les derniers ajustements ou de recommencer une série d’itérations. Lorsque le client est satisfait, la version finale peut être livrée.
Relation entre le client et le designer
Les échanges avec le client sont un aspect important du métier de designer. En effet, en dehors de son rôle créatif, le designer a également un rôle de conseil en accompagnant le client dans sa démarche de réflexion. Qui n’a jamais eu un commanditaire qui ne sait pas formuler précisément son besoin ? De par l’expertise métier, le designer arrive à comprendre l’envie du client sans qu’il ait à le formuler. En effet, mettre des mots sur un besoin et aider à cadrer celui-ci est essentiel afin de présenter les propositions les plus pertinentes pour un projet.
L’accompagnement du client consiste également à être force de proposition et à aller parfois plus loin que la demande initiale. En effet, la mission créative ne correspond pas seulement à la réponse à un brief, il s'agit d’une réelle collaboration entre le designer et le client. Le designer a un rôle de médiateur entre le milieu d’activité du client et celui de l’art. Un projet né des différents allers-retours entre ceux-ci et évolue en fonction des échanges.
Complémentarité entre l'IA et les designers
Les limites de l'IA
Bien que s’approchant de plus en plus des capacités de l’humain dans toutes sortes de créations, l’intelligence artificielle a, elle aussi, des limites.
Une des plus grosses limites, et non des moindres, est qu’elle ne peut pas créer à partir de rien. L'IA nécessite que l’homme lui fournisse un concept préalable pour donner un résultat. Lorsque l’on crée une image sur Midjourney par exemple, on doit rentrer au minimum des mots-clés pour lancer la création. Le visuel créé dépendra donc des informations qu’on aura données à l’intelligence artificielle. Ainsi, pour créer un visuel original, il faut qu’il y ait une démarche créative derrière, celle-ci ne peut pas apparaître de nulle part. En d’autres termes, il faut savoir vers où on va pour que la part de hasard générée par l’IA soit placée au bon endroit. L’IA reste un outil au service du créatif qui l’utilise.
Sa capacité à comprendre le contexte et les enjeux qui se cachent derrière la création d’un projet est limitée. Il est difficile pour elle d'appréhender les contraintes spécifiques d’un projet. De plus, les émotions et la perception du second degré sont des éléments qui lui font défaut et qui font pourtant toute la différence. L’IA ne peut pas prendre en compte les préférences personnelles et les goûts esthétiques si ceux-ci n’ont pas été explicités au préalable. Cependant, c’est une chose essentielle pour créer des images qui sont à la fois intéressantes et attrayantes.
Une des autres limites de l’IA est qu’elle a sa propre définition de la beauté, basée sur les éléments qu’on lui a donnés. Ainsi, elle peut produire des visuels qui sont esthétiquement agréables, mais elle n’a pas l’appréciation de la beauté outre ce que l’homme lui a appris. L’IA va donc reproduire les tendances les plus en vogue et s’enfermer dans un style peu original. Néanmoins, le beau peut aussi exister dans l’étrange et l’esthétisme moins conventionnel.
L'utilisation de l'IA dans la création artistique est un domaine qui soulève de nombreuses questions éthiques et de droits d’auteurs précédemment expliqués. Un des effets négatifs de l’IA est qu’elle reproduit les discriminations et stéréotypes présents dans les bases de données utilisées pour son apprentissage. On appelle ça les biais algorithmiques et cela constitue un réel enjeu éthique.
Comment l’IA peut aider les designers
Les progrès de l'IA ouvrent la possibilité d'une complémentarité entre le travail du designer et celui de l'intelligence artificielle.
Premièrement, les algorithmes peuvent aider à automatiser certaines tâches chronophages et répétitives. Libéré de ces tâches sans valeurs ajoutées, le designer peut se concentrer sur des tâches davantage complexes et créatives.
Ensuite, la création de photographies “à la carte” permet d’ouvrir de nouvelles perspectives et de ne plus être restreint par des contraintes matérielles et de temps. De plus, la phase d’idéation créative peut être enrichie grâce aux intelligences artificielles en permettant de créer et de faire émerger rapidement des concepts originaux. À l’aide de quelques mots clés et d’une IA générative, il est facile de créer rapidement un moodboard qui nous servira d’inspiration. L’IA créera peut-être des visuels que nous n’aurions vus nulle part ailleurs et pourra nous faire émerger de nouvelles idées.
Enfin, lors de la phase de brainstorming avec le client, il peut être utile de pouvoir rapidement tester nos idées pour avoir un retour en direct de celui-ci. L’IA pourra ainsi nous aider à tester des concepts en un instant afin de savoir si l’on va sur la bonne piste. Cela fera gagner un temps précieux et aidera à cerner plus facilement les attentes du client.
Et demain ?
L’avenir du développement des intelligences artificielles reste encore flou et dépend de plusieurs facteurs dont la réglementation au sujet des droits d’auteurs qui va être prochainement mise en place. Cependant, il est indéniable que l’IA va s’imposer comme une réelle aide pour les designers d’aujourd’hui et de demain.
Les outils dotés d’intelligence artificielle vont ainsi s’intégrer durablement dans le processus créatif des designers. De la recherche d’idée à la réalisation finale de celles-ci, les intelligences artificielles nous aideront à chaque étape de création. L'IA ne peut pas remplacer la créativité, mais elle peut nous aider et améliorer notre processus créatif.
L’IA se révèle être une opportunité de créer plus rapidement, mais surtout différemment. Les designers qui sauront maîtriser les outils d’intelligence artificielle auront indéniablement un avantage sur les plus réfractaires. Pour s’adapter aux besoins futurs, les IA commencent déjà à être intégrées dans les formations des designers. En effet, savoir parler aux IA va devenir une compétence recherchée, l’apprentissage de ce nouvel outil sera donc d’autant plus un atout pour rester compétitif.
Le métier de designer se verra transformé au fil des années, comme il a pu l’être lors de l’arrivée du numérique et des outils PAO. Il ne s’en verra pas pour le moins disparaître, mais laissera peu à peu de côté les tâches exécutives, pour se concentrer sur les missions créatives et sur la relation client.
« Soyez exigeant avec vous-mêmes, maîtrisez les IA, si vous ne décidez pas c’est l’IA qui décidera pour vous. » David Raichman
Pour aller plus loin, on vous conseille :
- Le podcast “Machine Machine : Design & IA” - Design MasterClass - Rencontre avec Etienne Mineur, Sylvie Tissot et Jonathan Larradet : trois visions de l’IA et du design, trois regards créatifs autour d’un sujet qui peut faire débat dans nos métiers.
- Le podcast Chat GPT, La Nouvelle Star - Qu’est-ce que ChatGPT, qui se cache derrière ? Peut-on s’y fier ? Est-ce éthique ? Autant de questions abordées dans ce podcast par Michel Meyer et Jeff Boudier.