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Le E-commerce africain à la croisée des chemins

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Ceyhun Kaplan, Chief Operating Officer
Le 14 novembre 2017
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  • ecommerce

Lecture :9 minutes

L’e-commerce peine à prendre son envol sur le sol africain. La construction de son éco-système est ralentie par un contexte politico-social instable et des conditions économiques défavorables. Les velléités de développement du business online sont bien réelles, à l’image des pure players tels que Jumia ou Afrimarket qui mènent leur barque sur le continent. L’Afrique reste un continent aux spécificités culturelles auxquelles tous les acteurs n’ont pas su s’adapter. Petit tour d’horizon du paradigme e-commerce africain.

Un écosystème en construction

Les pronostics ne cessent de se tromper : non, le boom du e-commerce africain n’est pas prévu “dans les 3 prochaines années”. Bien que prédit depuis des années, cet envol ne cesse d’être retardé par divers éléments propres au continent. Tout d’abord, le contexte économique limite l’accès à un compte bancaire à la majorité de la population (environ 20% de taux de bancarisation sur le continent), et donc d’une CB pour payer en ligne. Les infrastructures logistiques (circuit de distribution, routes, adressages, point relais, etc.) et technologiques (réseaux internet, accès aux postes informatiques, etc.) sont encore loin du niveau pré-requis d’un marché mature.

En Europe ou en Amérique du Nord, les comportements liés à l’achat en ligne sont dynamiques, ils évoluent d’année en année. En Afrique, ces usages sont tout juste florissants : calqués sur des modèles occidentaux, ils gardent néanmoins des spécificités locales comme la navigation internet mobile-centric.
Le nombre d’utilisateurs de smartphone est plutôt élevé (plus de 700 millions en 2016). L’accès à l’internet se fait généralement par offre prépayée : l’usager paye les données qu’il consomme. Le paiement mobile se fait sur cette facture télécom via des services spécifiques au continent tels que :

  • Orange Money, leader du paiement mobile dans les pays francophones comme le Cameroun ou le Sénégal.
  • MTN Mobile Money, concurrent d’Orange Mobile et implanté dans plus de pays.
  • M-Pesa, solution de transfert d’argent très répandu au Kenya notamment. Cette plateforme n’est pas une institution bancaire mais vise à respecter les mêmes standards, notamment dans le respect des KYC.
  • KongaPay, solution fait maison par Konga, le leader des marketplaces au Nigéria (le plus grand marché du continent). Comme le service AliPay d’Alibaba, Konga a décidé d’internaliser sa solution de paiement.

Beaucoup d’e-commerçants doivent assurer les livraisons avec une équipe logistique interne. Comme en Inde, les usagers africains optent pour le cash-on-delivery (plus de 70% préfèrent ce mode de paiement). Ils souhaitent voir, toucher ou contrôler le produit avant de le payer. Beaucoup de transactions amorcées en ligne se retrouvent annulées par défaut de paiement. En contrepartie, les taux de retours sont très faibles après un paiement à la livraison.

Aujourd’hui, le e-commerce africain vise les classes moyennes/aisées. Bien que restreinte en nombre, cette population impulse des nouveaux comportements et ouvre la voie au développement de nouvelles habitudes de consommation. Il serait imprudent de pronostiquer l’avenir de ces changements : est-ce que le marché africain va conserver ses spécificités ? Est-ce que l’émergence d’une classe moyenne plus large va uniformiser les usages du continent avec le reste du monde ?

Les pure players dominent le marché

Les grandes enseignes ‘brick and mortar’ du continent, freinées par les contraintes évoquées précédemment, ont encore du mal à se positionner sur la vente en ligne. Ce phénomène est encore mal compris par les commerçants traditionnels du continent. De plus, les mastodontes internationaux tels qu’Amazon ou Alibaba ont des réticences à pénétrer sur la vente en ligne sur le continent. C’est tout naturellement qu’un chemin pavé d’or s’est dessiné aux pure players du contient.

Jumia s’installe comme le poid lourd du continent

Présent dans la majorité des grands pays du continent, Jumia est souvent montré comme l’“Amazon africain”. Le groupe est composé de diverses activités (livraison de repas, réservation d’hôtel, petites annonces, location de voitures, etc) mais c’est à travers sa plateforme e-commerce qu’elle a fait parler d’elle. Fort d’un partenariat avec Orange Mobile et Axa Assurance, Jumia s’est affranchi des prestataires logistiques ou bancaires du continent. Maîtrisant son système de distribution de A à Z, la société nigérienne s’érige, entre autre, en leader du retail africain. https://www.youtube.com/watch?v=qgpkjORnqhg

Afrimarket : la startup qui séduit la diaspora africaine

Basé sur un modèle inédit en Europe, Afrimarket se positionne en e-commerçant spécialiste du cash-to-goods. Destiné en particulier à la diaspora africaine vivant en France, cette plateforme permet, plutôt que de transférer l’argent de la parentèle vivant sur le sol africain, d’envoyer des produits. Forte d’une multitude de produits et services (pharmacie, librairie, supérette du coin, high-tech, etc), la plateforme a séduit plus de 100 000 clients en France et en Afrique. Afrimarket a également eu l’intelligence de nouer un partenariat avec Orange et AXA pour optimiser sa logistique et son système de paiement. En effet, une filiale d’Orange assure les livraisons (ainsi que le traitement du cash-on-delivery) et le paiement online passe tout naturellement par Orange Money. L’ascension de la plateforme a rapidement attiré l’attention des investisseurs comme Xavier Niel qui voit en ce modèle économique un moyen de mettre le pied à l’étrier du e-commerce africain.

Les outsiders qui bousculent les habitudes : Diayma, Niokobok, Konga, Afrikrea

Projecteur sur Diayma, retailler sénégalais qui propose des services inhabituels sur le continent : livraison en 1h à Dakar, franco de port, retours gratuits, délais de rétraction d’une semaine, etc. La société, dont le nom signifie “vends moi quelque chose” en wolof, mets la satisfaction client en haut de sa pyramide et le résultat est très prometteur !
Basé sur le modèle d’Afrimarket, le jeune Nikobook grappille du terrain sur le marché du cash-to-good de la diaspora africaine en Europe. Konga, quant-à lui, lutte contre Jumia sur les marketplaces et est même leader sur le sol nigérien. Sa plateforme, développée sur Magento, permet à des petits e-commerçants de vendre à la plus grande communauté d’acheteur online du pays.
Pour finir sur les outsiders, le site Afrikrea vise à fédérer la communauté des créateurs de mode du continent. Fonctionnant également sur le modèle marketplace, des stylistes, couturiers et autres artistes peuvent y commercialiser leurs productions.

La success story : Sawa Shoes

Yves Bessala, dit Docteur Bess

Fort d’un story telling digne des plus grandes marques de mode, Sawa Shoes a construit sa renommée sur le continent africain grâce à un modèle d’entreprise transparent et équitable. Fondé par Yves Bessala (dit “Dr Bess”, ne laissant jamais tombé sa blouse blanche), ancien boxeur de haut-niveau, Sawa Shoes a commencé son périple dans les quartiers industriels de Douala, au Cameroun. “Payer une bière à un douanier, un transporteur ou un policier était devenu notre quotidien” se plaint Dr Bass, faisant allusion aux pot-de-vins auxquels il devait se soumettre.


C’est en 2011 que Sawa Shoes franchit le pas en délocalisant sa production en Éthiopie, où le manque de législation permet de s’affranchir des contraintes douanières. Bâtissant un environnement de travail et une identité sur des modèles européens, Sawa Shoes garantit le respect de ses travailleurs : jours de congés pour Noël et fêtes nationales, Contrats à Durée Indéterminée, 13e mois, pas de shift de nuit… Dr Bass vend une philosophie avant de vendre un produit. Aujourd’hui, Sawa Shoes livre même en Europe ses fabrications originales, preuve que la mayonnaise a pris.

La failure story : Cdiscount

Tous les voyants étaient au vert pour Cdiscount lorsque le groupe Casino a décidé de vendre ses produits en Afrique en 2014. Un partenariat avec la filiale logistique de Bolloré (leader du secteur sur le continent), une croissance impressionnante sur le marché français et une maitrise des stocks dans ses entrepôts à Bordeaux. Cdiscount avait le chemin tout tracé pour capitaliser sur son image dans les pays francophones où il s’est implanté : Maroc, Algérie, Côte d’Ivoire, Sénégal et Cameroun.
C’est là que le bât blesse : les entrepôts étant en France, les livraisons ont pris des semaines de retard. Les plus gros colis étant envoyés par bateau, Cdiscount a atteint des records dans le domaine : jusqu’à 60 jours de retard ! Anticipant les usages du marché africain, Cdiscount proposait également le cash-on-delivery, ce qui a généré un grand nombre de refus pour ces retards de livraison. La plateforme avait initialement fait le choix de conserver le même catalogue pour son marché africain (plus de 100k références), ce qui rendait les flux de transport encore plus ingérables. Après plusieurs mois en zone de turbulences, la maison mère Casino a décidé de réduire son catalogue et d’implanter des stocks sur le sol africain. La même année, elle ouvre sa plateforme aux revendeurs pour continuer à proposer un catalogue pléthorique. Ces décisions n’ont pas suffit pour redresser les courbes négatives et c’est en toute logique que le groupe se retire du marché africain en 2017, en même temps que d’autres marchés en Amérique Latine et en Asie.

Bilan de l’opération : Cdiscount a manqué de pragmatisme sur un marché loin d’être mature. La gestion offshore des stocks était utopique et a terni tout le capital sympathie du groupe sur le marché des pays africains francophones. L’impatience des actionnaires à bâtir un modèle africain de sa société n’a que précipité la fin de cette aventure.

 

 

L’avenir se dessine... en pointillé

Les silhouettes d’un marché mature sur le sol africain se profilent, mais beaucoup de facteurs continuent à inquiéter les différentes partie-prenantes. Les freins liés aux infrastructures technologiques peuvent se transformer en opportunités au cours des années à venir : développement de nouvelles routes, implémentation de point relais, démocratisation des forfaits data, accès à des hotspots Wifi, rapprochement des zones urbaines/rurales, facilité d’ouverture de comptes bancaires, massification des solutions d’hébergement, etc.

Outre ces aspects technologiques, les contraintes légales et sociales restent une menace conséquente. Beaucoup de pays africains n’ont pas de cadre législatif structurant le commerce électronique (CGV, mentions légales, délais de rétractation, etc). De plus, les flux entre pays sont encore trop soumis à des limites de circulation de biens et des services, et ce malgré les accords de la Communauté Economique Africaine. En théorie, la grande partie des pays africains collaborent et forment une union douanière et un espace de libre échange. En pratique, les taxes varient de pays en pays, en fonction d’accords internationaux et autres décisions opaques des autorités locales.

La mise en place d’un cadre légal plus stable, couplé au développement des habitudes liées à l’achat en ligne semblent être des éléments fondamentaux pour bâtir un marché prospère en Afrique. Cette construction n’en est plus à l’étape de fondation : elle cherche aujourd’hui sa propre identité dans un écosystème mondial parfois trop hermétique aux variations culturelles.

 

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