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De la responsabilité éthique du développeur

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Clément Pailler, Développeur back-end
Le 15 mars 2019
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Lecture :5 minutes

Au milieu des objectifs toujours plus ambitieux de la transformation digitale, on voit apparaître des pratiques de design peu scrupuleuses qui posent la question de la responsabilité du développeur. D’où viennent ces pratiques ? Sont-elles mises en oeuvre involontairement ? Peut-on les éviter ?

Ces choix de conception, regroupés depuis quelques années derrière le terme de “dark pattern”, visent à piéger l’utilisateur en jouant sur ses attentes et ses habitudes. Qu’elles soient légales ou non ces pratiques impactent toujours négativement les utilisateurs, en collectant et partageant des données privées, ou en forçant des ventes non désirées. Aux côtés des ces designs maléfiques on trouve aussi des choix de conception malheureux qui sont détournés et utilisés hors de leur cadre d’origine. Les développeurs et les designers sont pourtant des êtres humains comme les autres et ne cherchent pas systématiquement et volontairement à causer du tort aux utilisateurs de leurs applications. Malheureusement, ils sont faillibles et il arrive que les réponses qu’ils apportent aux problématiques qui leur sont posées peuvent être utilisées à mauvais escient.

Heureusement il existe des stratégies pour éviter le plus possible ces débordements. On retrouve d’ailleurs déjà ces stratégies à des degrés divers dans d’autres corps de métiers, comme dans la médecine où il serait aisé de profiter de la confiance des patients. Il est bien évidemment question d'éthique professionnelle.

L'éthique ? Des tiques ou des tics ?

Il n’est pas l’objet ici de présenter l'éthique sous toutes ses coutures, mais une petite définition s’impose tout de même.

L'éthique est une discipline qui vise à établir des méthodes rationnelles pour prendre des décisions en accord avec des principes et des valeurs morales. Définie de la sorte c’est assez obscur et c’est bien normal car c’est une discipline philosophique très vaste qui occupe des penseurs depuis plusieurs milliers d’années et à travers tous les continents. De manière plus concrète, le cadre donné par l’éthique - en terme de conception web - est de faire les bons choix de design et de repérer rapidement les mauvais choix pour les corriger. Dans le développement d’un projet, on peut être tenter de reproduire une mécanique et une ergonomie, rencontrées sur d'autres projets, qui semblent faire leur preuve. Ce faisant le risque de ne pas remettre en cause certaines pratiques est grand.

Les objectifs d’un e-commerçant sont clairs : vendre un maximum de produits à la plus large population possible. Si une “astuce” ou une “erreur” permet de mieux remplir cet objectif, il est aisé de l’envisager et de souhaiter l’implémenter. Sauf qu’il s’agit ici d’Internet, où le potentiel acheteur n’est toujours qu’à quelques clics d’un avis sur le vendeur ou d’une autre boutique où réaliser son achat, l’information circule extrêmement rapidement. Un client mécontent ne va pas simplement en informer ses proches, il va le partager sur les réseaux sociaux avec lien et image à la clef pour appuyer son propos. De plus, depuis l’apparition du terme “dark pattern”, il est plus aisé d’en parler ou de les comprendre pour mieux pointer du doigt les sites qui en font usage comme c’est régulièrement le cas pour certaines compagnies aériennes. Le risque est donc élevé pour un e-commerçant qui souhaite s’installer sur la durée. Suivre une ligne éthique est plus sûr pour quiconque ne désirant pas passer une partie de son budget à redorer son image.

La question de la responsabilité

À première vue la responsabilité quant aux problématiques d’éthique se situe entre les mains des e-commerçants, les personnes à qui ils confient le soin de mettre en oeuvre leur projet n’étant en général pas décisionnaires. C’est oublier qu’un prestataire a également un rôle de conseil et que bien souvent les choix de design douteux ne sont pas réalisés volontairement ou en ayant analysé les possibilités de mauvaises utilisations. Toutes les personnes qui participent à l’élaboration d’un projet ont une responsabilité éthique en tant que designer, du donneur d’ordre au développeur qui implémente les fonctionnalités. Ces mêmes personnes ont une responsabilité éthique en tant qu’être humain concernant leur impact sur le monde, et dans le cadre d’un projet e-commerce cela représente rapidement des milliers voire des millions de personnes.

Veiller sur ces questions n’est à priori pas chose aisée, comment savoir si la solution proposée à une problématique est éthiquement acceptable ? Quels sont les critères pour le juger ?

Les 4 mousquetaires de l’éthique

Dans le cadre des activités de création du web, il est en général approprié de confronter les problématiques et les solutions aux quatre grands courants éthiques que sont la déontologie, le conséquentialisme, l’éthique de la vertu et l’approche des capabilités.

La déontologie permet de juger nos choix au regard de devoirs moraux, l’objectif étant de réaliser le choix que tout le monde devrait faire au regard de règles établies. Cette première approche permet de traiter les problématiques courantes ou déjà rencontrées mais s’avère difficilement applicable face à la nouveauté.
Le conséquentialisme vise à établir le bien-fondé d’un choix sur la base de ses conséquences en visant à maximiser les conséquences positives et/ou réduire les conséquences négatives. Une telle façon de traiter une problématique peut mener à ignorer les besoins de certains utilisateurs.
L'éthique de la vertu se base sur les intentions de ceux qui font le choix pour juger de son bien-fondé. Malheureusement, bien qu’il soit en général nécessaire de vouloir bien faire, ce n’est que très rarement suffisant.
Enfin, l’approche des capabilités s’intéresse à valider les choix au regard des libertés qu’ils offrent à tous les utilisateurs sans distinction. Le souci étant ici de définir les libertés à offrir et celles à ne surtout pas supprimer.

Bien que n’étant pas exhaustives, ces différentes approches sont assez complémentaires. Ainsi face à une solution qu’on lui demande d’implémenter, un développeur pourra rapidement parcourir les questions suivantes :

Déontologie

  • Existe-t-il une règle déontologique concernant cette situation ? si oui que dit-elle ?

Conséquentialisme

  • Qui bénéficie de cette solution et pourquoi ?
  • Qui est désavantagé par cette solution et pourquoi ?
  • Comment les désavantages causés par cette solution sont réduits/compensés ?
  • Quelles sont les conséquences non souhaitées et comment vont-elles être gérées ?

Éthique de la vertu

  • Quelles sont les vertues applicables à la situation ?
  • La solution apportée vous rapproche-t-elle de ces vertues ?

Approche des capabilités

  • Quelles capacités la décision offre au utilisateurs finaux ?
  • Ces capacités augmentent-elles les libertés de fonctionnement des utilisateurs finaux ?
  • Est-ce une solution qui s’inscrit dans une amélioration continue de la qualité de vie de l’utilisateur final?

 

Se poser ce genre de questions permet au développeur de rapidement repérer des décisions éthiquement bancales, mais certaines de ces décisions échapperont aux mailles du filet. Ce n’est pas une fatalité, il y a toujours de la place pour l’amélioration du moment que les erreurs sont analysées et comprises.

Dans un monde où tout est changeant, il est nécessaire de se souvenir que l’objectif est l'amélioration croissante de la qualité des biens et services numériques ainsi que la qualité de l’expérience des utilisateurs, ce sont eux qui font et défont les géants de ce monde.

 

Pour aller plus loin :

https://www.smashingmagazine.com/2018/03/using-ethics-in-web-design/
https://www.lockedownseo.com/importance-of-web-design-ethics/

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